lundi 25 février 2013

Look Ma. No Hands !



                En ces temps de Victoires et de Césars où l’on célèbre souvent  les fils et les filles à papa, je voudrais chanter les louanges de deux fils à maman. Deux petits maîtres auteurs de beaux albums qui n’auraient surement pas vu le jour sans la notoriété de leurs génitrices. 
                Feu Terry Melcher  - fils unique de Doris Day - est connu comme producteur (Byrds, Beach Boys, Paul Revere & The Raiders…) et surtout comme grand rescapé, puisque c’était lui la cible de Charles Manson lors du meurtre de Sharon Tate et de ses amis (erreur ou intimidation… ? Melcher n’habitait plus cette maison mais Manson lui reprochait de s’être rétracté après lui avoir promis de le produire.) Au début des années 1960, avant de produire le gratin californien, Melcher avait, comme pas mal d’enfants de vedettes (dont les fils de Dean Martin et Jerry Lewis…), donné dans la pop teenage sucrée, d’abord en duo avec Bruce Johnston, futur Beach Boys, sous le nom de Bruce & Terry, puis avec les Ripchords.  
                Lorsqu’il revient à la chanson en 1974, avec cet album qui ne porte que son nom, il n’a plus la cote comme producteur, il donne un peu dans l’immobilier, file un coup de main à sa mère sur son show télé… Il essaye surtout de tourner le dos à la profonde dépression où l’a plongé le massacre perpétré par la Manson family. Melcher a qualifié lui-même sa musique de country de Beverly Hills. Plus country club que cabane en rondins, en effet, avec le gratin du country rock (des Byrds, Ry Cooder, des Burritos…) et de la pop léchée (Jim Keltner, Hal Blaine…). L’invité le plus chic est peut-être l’arrangeur Jimmie Haskell, passé par Hollywood et la pop luxueuse (Ode To Billy Joe, Bridge Over Troubled Water…), celui-ci fait merveille sur deux reprises somptueuses : Just a Season des Byrds et surtout une lecture de These Days très mittel Europa.
                D’ailleurs, outre cette compo de Jackson Browne créée par Nico dans un arrangement de John Cale, on pense ici à plusieurs reprises au géant Gallois. Si, si… avec ses climats alanguis, le jeu d’échos subtils entre pedal steel guitar et cordes, les contrechants acérés de Clarence White et Ry Cooder évoquant ceux de Lowell George, cet album a de faux airs de Paris 1919, sorti un an auparavant sur le même label, Reprise. Les deux disques ont la même élégance nostalgique, décalée et hors-normes pour leur époque.  Pour les compositions, Cale l’emporte haut la main, mais Melcher sait choisir ses reprises (Fourth Time Around muté en valse lente gospelisante…) et ses originaux ne manquent pas d’ironie (Dr. Horovitz sur les marchands de bien être) ni de gravité (Halls of Justice qui évoque à mi-mot les heures pénibles passées de tribunal en tribunal face à un dément qui voulait sa mort).               
                Dans le cadre de notre thématique « à maman », il y a ce duo sur These Days, toujours, entre Melcher et sa mère qui jette un éclairage particulier sur les paroles : And I had a lover, I don’t think I’d risk another these days… Don't confront me with my failures. I had not forgotten themRien d’incestueux, rien de très habituel non plus…
                Melcher est décédé des suites d’un mélanome en 2004, l’année même ou Bush Jr décorait sa mère pour services rendus à la nation. Doris Day vit désormais à Carmel, sur la côte, elle aura bientôt quatre-vingt-dix ans. Que sera Sera
                Moins connu que Terry Melcher, John Buck Wilkin vient de Nashville, ce qui ne l’a pas empêché d’être comme le Californien une jeune vedette de la musique surf (c’était le chanteur de Ronny and The Daytonas). Sur ce premier album solo, il ne mégotte pas sur la reconnaissance filiale : dédicace écrite et parlée, photo de maman au dos de la pochette, à l’intérieur et même une reprise du hit maternel. Madame Wilkin Mère s’appelle Marijohn Wilkin, elle fut une des premières compositrices reconnues de Nashville, avec quelques tubes au compteur dont Cut Across Shorty pour Eddie Cochran et surtout The Long Black Veil pour Lefty Frizell repris donc ici et qui le fut aussi par The Band, Marianne Faithfull, Joan Baez, Nick Cave, Jagger avec les Chieftains, le Dead et quelques dizaines d’autres. Musicalement, on est un peu dans les mêmes eaux que chez Melcher, entre country rock et pop orchestrée. Quelque chose comme du cosmic outlaw chic - un bac plutôt rare chez les disquaires (merci, au passage, à Dominique et Larry d’Exodisc qui m’ont fait découvrir cette petite perle en pariant sur le fait qu’il pourrait bien s’agir d’une des prochaines rééditions Light In The Attic). La voix n’est pas plus remarquable que celle de Melcher mais elle a la même sincérité touchante et le niveau instrumental derrière est aussi impressionnant (les pros de Nashville croisés sur Blonde on Blonde, derrière Elvis, Joan Baez… et un ou deux expatriés de luxe comme Tom Scott).   Pas de duo avec la mère cette fois, mais, tout aussi troublante, une confrontation pacifique avec un double envahissant, le fils spirituel de sa mère qui n’est autre que Kris Kristofferson, encore débutant à l’époque et la version de Me and Bobby McGee  présente ici est une des toutes premières à avoir été gravées, avant même celle de Janis Joplin.
                Pas vraiment des disques démocratiques donc : plutôt de vrais produits de l’aristocratie du spectacle, mais pour le meilleur uniquement. D’ailleurs, ce furent évidemment de remarquables flops. Melcher en fit un deuxième plus balisé, moins baroque ; Wilkin enchaina lui-aussi sur un autre LP passé inaperçu puis sur la BO d’un film culte de Dennis Hopper (The Last Movie). Restent ces albums étranges auxquels ne préside aucune nécessité, si ce n’est l’amour filial et le désir de se faire une place au soleil mais pas trop loin de l’ombre maternelle. Le propos est résumé par une photo à l’intérieur de la pochette du John Buck Wilkin dans laquelle, debout dans une maison en ruines, il fait face avec un curieux sourire à un portrait de sa mère en noir et blanc. Il la fixe, la guitare à la main, un pied suspendu en l’air et elle regarde le ciel… Du coup, l'album qui voudrait être celui de l'émancipation s'intitule In Search Of Food, Clothing, Shelter and Sex...



vendredi 8 février 2013

Satan et une de ses victoires les plus discrètes

                Le rock stoner m’emmerde. J’écoute parfois les influences revendiquées : Sabbath, Thin Lizzy, Hawkwind… mais les rejetons Kyuss, QOTSA… c’est au dessus de mes forces.  Quant on me vante le côté aventureux et génial de Josh Homme, je me tais et j’attends que ça passe en pensant au moment où je vais rentrer me coucher. Si je suis d’humeur taquine, je parle du featuring d’Elton John sur son nouvel album. Pour moi, ça veut tout dire.
                En revanche, parmi les précurseurs je suis assez toqué, en ce moment, d’un groupe du Kansas et/ou du Missouri qui a enregistré un album autoproduit en 1969 : The Bulbous Creation (titre exemplaire – You Won’t Remember Dying). Les musiciens ont disparu de la circulation et on ne sait rien d’eux. Rien à part leur obsession pour Satan, la mort, les drogues dures et la guerre du Vietnam. Et une approche assez peu rigoureuse de la musique en groupe : chant bleu, voix blanche, guitares désaccordées, tempi flottants… C’est la fête aux champignons et au marocain. Entre Sabbath pour les rythmiques doriques et le chant qui se voudrait méchant et les groupes de Frisco pour les embardées à la guitare, style Cipollina ou Garcia. Le quatuor compte deux chanteurs, en tout cas on entend deux voix différentes, également approximatives mais concernées. Le disque s’ouvre sur le peu à propos mais très réussi End Of The Page : tempo plombé  et humeur byzantine. Et cette guitare lead psyché jamais saturée qui se perd en volutes. Tout y est délicieusement instable, jusqu’aux voix du pont – des huuuum à deux notes qui réussissent à se perdre en chemin. Plus proche du Stoner, il y a Satan avec son riff d’intro qui semble prêt à se vomir dessus suivi d’un break de batterie qui sème les bpm derrière lui comme un poucet perdu dans la forêt noire. Les paroles sont au taquet : « Satan, tes manières diaboliques, te conduisent au désespoir… ». Parmi les autres perles le disque se clôt sur une garagissime version de Stormy Monday. Genre cinq heures du matin en banlieue de Kansas City, il reste un seul couple sur la piste et le guitariste laisse son âme prendre son  envol – entre pilotage automatique et vraie inspiration – minable et grandiose.
                Comme la mondialisation a des effets imprévisibles, cette merveilleuse série Z est disponible en pressage hongrois limité à 150 exemplaires ou en pressage allemand avec une nouvelle pochette encore plus laide que l’originale. Voila, je vous annonce ça le jour des Victoires de la musique.