En ces
temps de Victoires et de Césars où l’on célèbre souvent les fils et les filles à papa, je voudrais
chanter les louanges de deux fils à maman. Deux petits maîtres auteurs de beaux
albums qui n’auraient surement pas vu le jour sans la notoriété de leurs génitrices.
Feu
Terry Melcher - fils unique de Doris Day
- est connu comme producteur (Byrds, Beach Boys, Paul Revere & The Raiders…)
et surtout comme grand rescapé, puisque c’était lui la cible de Charles Manson
lors du meurtre de Sharon Tate et de ses amis (erreur ou intimidation… ? Melcher
n’habitait plus cette maison mais Manson lui reprochait de s’être rétracté
après lui avoir promis de le produire.) Au début des années 1960, avant de
produire le gratin californien, Melcher avait, comme pas mal d’enfants de
vedettes (dont les fils de Dean Martin et Jerry Lewis…), donné dans la pop
teenage sucrée, d’abord en duo avec Bruce Johnston, futur Beach Boys, sous le
nom de Bruce & Terry, puis avec les Ripchords.
Lorsqu’il
revient à la chanson en 1974, avec cet album qui ne porte que son nom, il n’a plus la cote comme producteur, il donne un
peu dans l’immobilier, file un coup de main à sa mère sur son show télé… Il
essaye surtout de tourner le dos à la profonde dépression où l’a plongé le
massacre perpétré par la Manson family. Melcher a qualifié lui-même sa musique de
country de Beverly Hills. Plus country club que cabane en rondins, en effet, avec
le gratin du country rock (des Byrds, Ry Cooder, des Burritos…) et de la pop
léchée (Jim Keltner, Hal Blaine…). L’invité le plus chic est peut-être
l’arrangeur Jimmie Haskell, passé par Hollywood et la pop luxueuse (Ode
To Billy Joe, Bridge Over Troubled Water…),
celui-ci fait merveille sur deux reprises somptueuses : Just
a Season des Byrds et surtout une lecture de These Days très mittel
Europa.
D’ailleurs,
outre cette compo de Jackson Browne créée par Nico dans un arrangement de John Cale,
on pense ici à plusieurs reprises au géant Gallois. Si, si… avec ses climats
alanguis, le jeu d’échos subtils entre pedal steel guitar et cordes, les
contrechants acérés de Clarence White et Ry Cooder évoquant ceux de Lowell
George, cet album a de faux airs de Paris 1919, sorti un an auparavant
sur le même label, Reprise. Les deux disques ont la même élégance nostalgique,
décalée et hors-normes pour leur époque. Pour les compositions, Cale l’emporte haut la
main, mais Melcher sait choisir ses reprises (Fourth Time Around muté
en valse lente gospelisante…) et ses originaux ne manquent pas d’ironie (Dr.
Horovitz sur les marchands de bien être) ni de gravité (Halls
of Justice qui évoque à mi-mot les heures pénibles passées de tribunal
en tribunal face à un dément qui voulait sa mort).
Dans le
cadre de notre thématique « à maman », il y a ce duo sur These
Days, toujours, entre Melcher et sa mère qui jette un éclairage
particulier sur les paroles : And I
had a lover, I don’t think I’d risk another these days… Don't confront me with my failures. I had not forgotten them… Rien d’incestueux, rien de très
habituel non plus…
Melcher
est décédé des suites d’un mélanome en 2004, l’année même ou Bush Jr décorait sa mère pour
services rendus à la nation. Doris Day vit désormais à Carmel, sur la côte,
elle aura bientôt quatre-vingt-dix ans. Que sera Sera…
Moins
connu que Terry Melcher, John Buck Wilkin vient de Nashville, ce qui ne l’a pas
empêché d’être comme le Californien une jeune vedette de la musique surf
(c’était le chanteur de Ronny and The Daytonas). Sur ce premier album solo, il
ne mégotte pas sur la reconnaissance filiale : dédicace écrite et parlée,
photo de maman au dos de la pochette, à l’intérieur et même une reprise du hit
maternel. Madame Wilkin Mère s’appelle Marijohn Wilkin, elle fut une des
premières compositrices reconnues de Nashville, avec quelques tubes au compteur
dont Cut
Across Shorty pour Eddie Cochran et surtout The Long Black Veil pour
Lefty Frizell repris donc ici et qui le fut aussi par The Band, Marianne
Faithfull, Joan Baez, Nick Cave, Jagger avec les Chieftains, le Dead et
quelques dizaines d’autres. Musicalement, on est un peu dans les mêmes eaux que
chez Melcher, entre country rock et pop orchestrée. Quelque chose comme du
cosmic outlaw chic - un bac plutôt rare chez les disquaires (merci, au passage,
à Dominique et Larry d’Exodisc qui m’ont fait découvrir cette petite perle en
pariant sur le fait qu’il pourrait bien s’agir d’une des prochaines rééditions
Light In The Attic). La voix n’est pas plus remarquable que celle de Melcher
mais elle a la même sincérité touchante et le niveau instrumental derrière est
aussi impressionnant (les pros de Nashville croisés sur Blonde on Blonde,
derrière Elvis, Joan Baez… et un ou deux expatriés de luxe comme Tom Scott). Pas de duo avec la mère cette fois, mais, tout
aussi troublante, une confrontation pacifique avec un double envahissant, le
fils spirituel de sa mère qui n’est autre que Kris Kristofferson, encore
débutant à l’époque et la version de Me and Bobby McGee présente ici est une des toutes premières à
avoir été gravées, avant même celle de Janis Joplin.
Pas
vraiment des disques démocratiques donc : plutôt de vrais produits de l’aristocratie
du spectacle, mais pour le meilleur uniquement. D’ailleurs, ce furent évidemment
de remarquables flops. Melcher en fit un deuxième plus balisé, moins baroque ;
Wilkin enchaina lui-aussi sur un autre LP passé inaperçu puis sur la BO d’un
film culte de Dennis Hopper (The Last Movie). Restent ces albums
étranges auxquels ne préside aucune nécessité, si ce n’est l’amour filial et le
désir de se faire une place au soleil mais pas trop loin de l’ombre maternelle.
Le propos est résumé par une photo à l’intérieur de la pochette du John Buck
Wilkin dans laquelle, debout dans une maison en ruines, il fait face avec un
curieux sourire à un portrait de sa mère en noir et blanc. Il la fixe, la guitare
à la main, un pied suspendu en l’air et elle regarde le ciel… Du coup, l'album qui voudrait être celui de l'émancipation s'intitule In Search Of Food, Clothing, Shelter and Sex...
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