S’il est bien un domaine où Internet
est indispensable, c’est l’exploration de la musique classique. A moins d’être
richissime (et encore, la rareté des enregistrements décourage-t-elle-même les
plus persévérants), je ne vois qu’arpenter les médiathèques pour accéder à une telle
diversité dans l’offre. Je parle là des œuvres disponibles mais aussi des
versions différentes (transcriptions, tempi, taille de l’orchestre, live ou
studio…). J’ai tendance comme tous les musiciens à regretter que certains de
mes enregistrements ne soient plus accessibles mais il suffit pour se consoler
d’observer le sort réservé aux compositeurs de musique savante. Prenez Alan Hovhaness (compositeur américain,
1911-2000) : 67 symphonies, pas loin de 1000 compositions (et encore
a-t-il brûlé lui-même la moitié de ses partitions…) et amusez vous à taper son
nom sur Amazon pour voir ce qui est disponible…
Je suis arrivé à ces
conclusions passagères en essayant d’écouter les Six Studies in English Folksongs de Ralph Vaughn
Williams (1872-1958). Pour situer ce dernier, il vient du pays que les
Allemands avaient coutume d’appeler « le pays sans musique » ! Jugement
à peu près aussi pertinent et passionnant
qu’une querelle entre fans des Beatles et des Stones. C’est par le folk
que je suis arrivé là, pas l’americana chère désormais à des artistes aussi
pointus que Rochvoisine mais les musiques traditionnelles relues ou non de Grande-Bretagne et d’Irlande. Bon, je
ne suis pas devenu un fanatique de tout Vaughn Williams. Faut pas déconner, ça
n’est pas Dennis Wilson non plus ! Mais je suis curieux du travail de tous
ces compositeurs et ethnomusicologues britanniques qui ont permis à une musique
populaire transmise oralement depuis des siècles de survivre à l’industrialisation,
puis aux mass medias et d’inspirer encore des artistes aussi divers que les
Unthanks, Paul Weller ou Current 93… De plus, comme par hasard, c’étaient
souvent des gens bien : Vaughn Williams, lui-même, a tenu à s’engager
pendant la guerre de 14-18, à quarante ans passés, comme simple soldat alors que
son statut de compositeur établi lui permettait aisément de rester civil ou de
prétendre à un grade honorifique et protecteur.
« Etudes » : le terme
en dit long sur l’humilité de Vaughn Williams et son absence totale de condescendance
pour les musiques populaires. Il a initialement arrangé ces six mélodies pour
violoncelle et piano, en précisant que ces compositions devaient être
« traitées avec amour ». C’est bien ce dont il s’agit ici. Transcrites
ou adaptées pour clarinette, alto, harpe, contrebasse… ces mélodies simples
offrent des milliers de lectures possibles. Le piano tel que l’a voulu Vaughn
Williams a des couleurs à la Debussy alors qu’il a étudié la composition avec
Ravel, lequel disait de lui (de mémoire) : « C’est le seul de mes
élèves qui ne fait pas du Ravel ». Le simple fait d’entendre une harpe en
lieu et place du clavier fait sauter aux oreilles les différences de
résonnance, de piqué, de réverbération et évoque d’autres lumières, d’autres
paysages… Et il y a aussi par delà les différences de timbre et de sustain des
instruments ce que ces quelques notes disent de chaque individu, de sa
connaissance de cette musique et de sa capacité à interpréter. Parce que le
génie d’arrangeur de Vaughn Williams et sa maîtrise du silence permettent
d’habiter une noire pointée d’un souffle à soi, d’une langueur particulière qui
dira les Highlands plutôt qu’un jardin elisabéthain, voire, dans les
interprétations les plus mécaniques, une jardinerie du Massachusetts…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire