lundi 21 janvier 2013

Courbe







            Suis allé visiter le siège du PCF ouvert en hommage à son architecte, le Brésilien Oscar Niemeyer. Il était temps après être passé devant un zillion de fois… Il faut dire que même si des visites sont parfois organisées, on n’associe pas systématiquement tourisme culturel, transparence et siège de parti politique, surtout ce parti-ci qui en 1971, lorsque le siège est devenu opérationnel, n’avait pas encore renoncé à la dictature du prolétariat et faisait la pluie et le beau temps à gauche avec pas loin du quart des suffrages exprimés à toutes les élections. Pas un parti de zozos. Et pourtant… Et pourtant, ce parti centralisé, bureaucratique, a choisi de confier sa maison à un poète, certes un camarade, un de ces révoltés infatigables face à la misère et l’injustice, chassé de son pays par une dictature militaire mais enfin, un poète, un génie qui dessine un bâtiment en quelques secondes, a l’air plus branché fesses que dialectique et a fait sortir du sol les plus belles cathédrales de son temps (de tous les temps même, selon moi)… Plus du côté de la courbe que de la ligne droite, de l’inspiration que de la planification.  
            Des vraies conditions de la conception du bâtiment, jusqu’à son achèvement en 1980, on ne saura jamais grand-chose. Tout au plus Niemeyer s’est il exprimé sur les rares contraintes subies (« entrées discrètes et facilement contrôlables » et « l’immeuble voisin dont la présence insolite devait être dissimulée ou cachée »). C’est l’anti Brasilia, l’opposé de la table rase, quasiment pas de dégagement. Partout autour : des murs, de la vie plus ou moins grouillante, des rues sans perspective. Et il faut beaucoup d’imagination pour faire le lien entre la pente timide de la place du Colonel Fabien et les pics sensuels qui hérissent Rio, la muse de l’architecte. Et pourtant… Pourtant, ce bâtiment que Niemeyer a dessiné comme un drapeau flottant au vent porte bien sa signature et rappelle la devise qu’il tenait de Le Corbusier : invention et surprise. L’effet drapeau n’est pas vraiment criant, beaucoup y voient un simple S. Le plus frappant outre l’entrée-tunnel que l’on retrouve souvent chez lui, c’est l’aspect suspendu de l’édifice central qui échappe à l’œil lorsque l’on emprunte le boulevard de la Villette. Cet immeuble de six étages est posé sur de rares et discrets piliers. Entre les sous-sols et les étages circule de l’air, de la lumière, comme si l’édifice était suspendu au-dessus du sol. Et c'est moins un étendard glorieux flottant au vent que l'on perçoit qu'une douce lévitation. Rien de spectaculaire ou de flamboyant. Fallait être obtus comme un journaliste de l’Aurore pour parler de « Bunker de luxe ». D’autant plus que l’intérieur en béton brut de décoffrage et moquette verte n’a rien de luxueux. 
Une fois dans le hall d’entrée, on est ailleurs : pas en ville, pas en France, peut-être même pas sur terre. Un espace immense et vide au sol ondulant et au plafond bas. Une table basse et ses fauteuils vintage. Cette curieuse moquette qui s’enfonce doucement sous la semelle comme de la mousse. Quasiment aucun angle droit, comme de bien entendu, mais partout des coins et des recoins arrondis. Et peu à peu le Brésil vient s’immiscer dans les détails, comme cette montée du sol en arrondi dans une salle de réunion, sur la photo à gauche, qui évoque les reliefs abrupts et verdoyants qui se dressent d’un coup devant vous dans une rue de Rio, contrariant les velléités de passer à pied d’un quartier à l’autre.  
            Pour la salle du conseil national, Niemeyer a créé, sous la bulle blanche, un volume fœtal aux lumières douces qui évoque à la fois 2001 l’Odyssée de l’espace et ses réussites tropicales. On aurait surtout envie d’y installer des milliers de coussins pour y assister à un concert de Tom Zé ou un festival Harry Partch. Toutes possibilités qui peuvent être proposées au PC qui ne parvient plus à assurer seul l’entretien de l’édifice. C’était le dernier intérêt de cette visite : le décalage entre la jeunesse éternelle de l’architecte brésilien et la décrépitude du parti, la bassine dans le hall qui reçoit les gouttes tombées du plafond, les bénévoles chargées de l’accueil, toutes adorables et intarissables mais déjà là sans doute avant même la signature du programme commun. La rencontre entre Niemeyer et le PCF a eu lieu au meilleur moment. L’architecte a travaillé gratuitement et le parti encore puissant a réussi à financer seul la construction par le biais de souscriptions et de prélèvements sur les salaires des élus. Dès 1981, un an après l’inauguration officielle du siège par George Marchais, ce dernier allait entamer la longue dégringolade électorale du parti.    
            Et à ceux qui s’étonneraient de ne pas entendre parler de musique ici, je conseillerais de visionner le film ci-dessous et surtout le montage qui commence à 44’30’’, malgré son synchronisme hésitant et sa mauvaise qualité technique. Vous y entendrez un futur ministre de la culture s'entraîner à faire un discours officiel.



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